Le courtage à l'ère de la transition digitale

Par Sebastien BRUNET

07/04/2021


L’avènement d’internet et des nouvelles technologies a considérablement fait évoluer les attentes des consommateurs, désormais habitués aux achats en ligne, aux livraisons rapides et aux services sur mesure. Cette vague de digitalisation, qui n’épargne aucun secteur, a permis aux entreprises les plus innovantes de devenir en quelques années les leaders de leurs industries : Netflix est ainsi passé en moins de vingt ans d’un service de livraison de DVD à domicile à la possession de l'un des plus grands services de streaming vidéo au monde. Amazon, initialement spécialisée dans la vente de livres à distance, pèse aujourd’hui trois fois plus lourd en bourse que Walmart, le n° 1 de la grande distribution aux Etats Unis. Ces nouveaux géants témoignent du déplacement de la valeur vers les acteurs d'internet, au détriment des distributeurs traditionnels.


La distribution de produits d’assurance repose historiquement sur des intermédiaires rémunérés, parmi lesquels se trouvent les courtiers. Ceux-ci détiennent, depuis les débuts de l’assurance maritime au XVlle siècle, une part significative du contact avec le client. C’est particulièrement le cas lorsque les besoins de ce dernier nécessitent des solutions sur mesure. Cependant, le contexte actuel de révolution numérique et ses nombreux bouleversements leur impose de se réinventer. En effet, comment renouer avec une clientèle qui n’hésite plus à comparer les prix des différentes polices sur internet et à souscrire un contrat d’assurance en ligne ? Comment rester compétitif face à la montée en puissance des néocourtiers, ces nouveaux acteurs 100% digitaux, qui proposent des primes souvent très basses, et des parcours clients ultra simplifiés ?

Voici un bref tour d’horizon des principales stratégies adoptées ces dernières années par le monde du courtage pour faire face aux multiples défis liés à la transformation digitale.

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Nous assistons depuis quelques années à l’arrivée de startups, qui ont repensé le modèle de l’assurance en mettant l’expérience client, en particulier sur mobile, au centre de leur démarche. Ces “assurtechs”, pour reprendre le néologisme de leurs aînées les “fintechs”, cherchent à disrupter une industrie accusant un certain retard concernant sa transition digitale. Leur maîtrise des méthodes agiles et la modernité de leurs systèmes d’informations leur permettent d’opérer avec des coûts bien plus faibles, et donc de se développer plus rapidement que les acteurs traditionnels.

 

Soulignons également le positionnement de ces nouveaux venus dans la chaîne de valeur de l’assurance. Une étude menée en 2017 par McKinsey montre qu’une majorité de ces entreprises se sont centrées sur la distribution de produits d’assurances individuelles. En France, pas moins de 67 acteurs y ont été recensés par le cabinet de conseil en innovation Klein Blue Partners, en partenariat avec Finance Innovation. C’est sur le marché de l’assurance habitation et auto, où les clients sont principalement attachés au tarif et à la facilité de souscription que bon nombre d’entre eux se sont positionnés. « Les produits d’assurance auto et MRH sont simples, donc standardisés, et présentent de faibles marges… Pour les assureurs traditionnels, ce sont d’abord des produits d’appel. Pour arriver à s’implanter, les assurtech doivent donc en repenser la distribution », souligne Florian Graillot dans une autre étude publiée par le fond d’investissements Astorya, spécialisé dans les assurtech.

 

Nous retrouvons parmi ces entreprises Luko, et son offre dématérialisée d'assurance habitation, disponible dès 3,99€ par mois. La startup, enregistrée en tant que courtier à l'Orias, travaille en partenariat avec Swiss Re et Munich Re, à qui sont cédés l'ensemble des risques. D’autres, comme Quartz ou +Simple ont également opté pour le modèle de courtier en ligne, et s’attaquent au segment des TPE / PME, encore peu investi par les startups.

 

La stratégie de ces néocourtiers est de séduire une clientèle souvent plus jeune, en leur proposant des parcours de souscription fluides, des primes avantageuses et un vaste choix de services complémentaires, sans chercher pour autant à disrupter les modèles économiques existants. Concrètement, cela se matérialise par une satisfaction client élevée, avec des Net Promoter Score frôlant les 75 alors que le reste du secteur plafonne à 20. Et la recette semble fonctionner, comme en témoignent les taux de croissance élevés : Seulement 2 ans après son lancement, Luko vient de passer le cap des 100 000 assurés et a multiplié par 6 sa croissance depuis décembre 2019, malgré la crise sanitaire. Alan, la complémentaire santé 100 % en ligne, affichait fin 2020 un portefeuille de 138 000 membres, soit une croissance de 105 % en un an.

 

La montée en puissance de ces concurrents 100% digitaux pousse les acteurs traditionnels à renforcer leurs plans de transition digitale en y dédiant des budgets considérables. Le grand courtage n’hésite pas à investir des millions d’euros dans des projets de refonte de leurs systèmes d’information ou dans la mise en place de nouvelles business units entièrement dédiées à la digitalisation de leurs activités : La nouvelle Digital Factory chez Verlingue ou encore April X - le hub digital d’April Assurances exclusivement dédié à l’expérience client - visent autant à fidéliser et attirer une clientèle plus jeune qu’à réduire les coûts de gestion et d’acquisition.

 

Les courtiers de proximité, ne possédant pas les mêmes capacités financières, ont la possibilité de s'équiper auprès de fournisseurs de solutions visant à optimiser les processus métier, et ainsi gagner en agilité : Oggo Data et So Soft proposent des outils spécialisés permettant d’accéder à des tarificateurs en ligne, de comparer les garanties de différentes polices, d’envoyer des devis avec le devoir de conseil, pour un abonnement allant de 19 € à 149 € par mois. Alors qu’il faut en moyenne deux heures à un courtier pour arriver à proposer 5 devis santé à son client, So Soft fait la promesse d’apporter une réponse en moins de 15 minutes tout en interrogeant une vingtaine de fournisseurs.

 

Nous l’avons vu, les néocourtiers cités précédemment comptent sur leur agilité et maîtrise des nouvelles technologies pour se tailler une place dans l’assurance de masse (épargne, habitation, automobile, complémentaire santé…), en se focalisant sur la compétition par le coût. Si le grand courtage peu faire face à cette concurrence d’un nouveau genre grâce aux économies d’échelle, le courtage de proximité a plutôt tendance à se repositionner sur les risques plus complexes, qui conjuguent une expertise et un rôle de conseil de plus en plus demandé par les clients, que ceux-ci soient des particuliers ou des entreprises.

 

Dans le cas des risques entreprise, la prestation est plus complexe et plus riche en valeur ajoutée car il n’y a que du sur mesure : l’élaboration de solutions d’assurances implique un important travail de détermination des risques à couvrir (risque industriel, responsabilité civile des dirigeants, cyber risque) et le placement effectif de ces risques auprès des assureurs selon le schéma conçu. Au-delà de la recherche de la meilleure couverture assurantielle, les courtiers jouent un rôle important de conseil, notamment sur l’analyse et la maîtrise des risques de leurs clients. Cette valeur ajoutée se traduit par le versement d’honoraires en complément de la perception de commissions versées par les assureurs.

 

Concernant le segment des particuliers, l'inadaptation des offres standardisées à certaines cibles favorisent la spécialisation dans des marchés de niche dont les besoins ne sont pas encore dans le radar des assureurs, ou qui sont difficiles à assurer, comme par exemple l’assurance de véhicules de collection, d’œuvres d’art ou encore l’assurance santé des expatriés. Du fait de l’ouverture de certains marchés, et des demandes très spécifiques laissées de côté par les grands généralistes, les courtiers ont l’embarras du choix des niches pour se spécialiser. Une stratégie qui, si elle demande une expertise de plus en plus poussée, peut devenir payante, grâce notamment a une concurrence plus faible et un niveau de marges plus élevé. 


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La vague de bouleversements qu’apporte la digitalisation de l’économie représente à la fois une menace, mais également une source d’opportunités pour les courtiers, dont le nombre en France croît d’environ 2% par an en moyenne. Rappelons que le rôle du courtier d’assurances est de conseiller son client dans le placement de ses risques en veillant systématiquement à la défense des intérêts de ce dernier. En tant que mandataire de son client, il se doit d’être indépendant vis-à-vis des organismes d’assurances. L’immatérialité et la complexité liée à un produit d’assurance nécessite dans bien des cas une intervention humaine pour expliquer, rassurer et conseiller. Ceci est d’autant plus vrai avec la prise de conscience sur la nécessité d’être bien assuré engendrée par la crise de la Covid. Le besoin d’être couvert est plus fort, au point d’apparaître essentiel dans bien des situations. Cela ne fait que renforcer l’aspect très humain du processus amont de la vente d’un produit sensible d’assurance.

 

Le courtage en assurance ne semble donc pas prêt de disparaître, contrairement à ce qui a pu être annoncé à plusieurs reprises, à condition bien sûr qu’il sache s’adapter aux changements en cours et qu’il mette toujours le client au centre de ses préoccupations.


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SOURCES

Barry Rabkin, Technology Cannot Replace Brokers, Insurance Thought Leadership, 2020

Chantal Houzelle, Assurance-habitation : Luko lève 50 millions pour cibler l'Europe, Les Echos, 07 décembre 2020

Eric Maumy, Les assurtechs changent-elles le visage de l’assurance des entreprises?, Verlingue, 19 novembre 2018

Solange Brousse, Courtage spécialisé, l’assurance de niches, Le Nouvel Economiste, 28 mai 2014

Jean-Charles Samuelian-Werve, Lettre aux actionnaires - Bilan 2020, Blog Alan, 27 janvier 2021

Gwendal Perrin, Comment les assurtech s'imposent progressivement en Europe, L'Argus de l'assurance, 17 mars 2021

Simon Kaesler, Matt Leo, Shannon Varney & Kaitlyn Young, How insurance can prepare for the next distribution model, McKinsey, 12 juin 2020