L’évolution réglementaire automobile face à l’autonomisation des véhicules 

Par Benjamin BRUNEAU - Stanislas MINOT - Charles AMBROSIO - Mehdi JOUINI

04/11/2021


La réglementation française liée à l’assurance des véhicules n’a cessé de s’adapter aux évolutions des véhicules depuis près d’un siècle. Revenons tout d’abord aux origines de l’assurance automobile.

 

En 1929, le bureau central français des compagnies d’assurances pour l’étude des statistiques est créé et, le 13 Juillet 1930, le législateur décide de réglementer l’assurance automobile.

 

Avec la loi du 31 Décembre 1951, le Fonds de Garantie Automobile (FGA) est créé. Ce dernier a pour but d’indemniser les victimes de dommages corporels causés par des conducteurs, inconnus, insolvables ou non assurés. Très vite, les limites d’un tel système sont atteintes.

Le 22 Février 1958, l’assurance automobile devient obligatoire et tout conducteur d’un véhicule motorisé doit, a minima, être couvert au titre de sa responsabilité civile.

 

Le 08 Novembre 1968, la Convention de Vienne encadre un peu plus la notion de conducteur : celui-ci désigne toute personne ayant la direction d’un véhicule. L'article 8-1 précise que tout véhicule doit avoir un conducteur qui le contrôle. L’article 8-3, quant à lui, ajoute que “tout conducteur doit posséder les qualités physiques et psychiques nécessaires et être en état physique et mental de conduire”.

 

Le coefficient de réduction-majoration, plus communément appelé Bonus-Malus, verra le jour le 11 Juin 1976 afin de valoriser les “bons conducteurs” et de sanctionner les moins bons. Toutefois, la Commission de Bruxelles estime que ce procédé nuit à la libre concurrence ; il ne sera réellement appliqué qu’à partir du 8 Septembre 2004 suite à la décision favorable de la Cour européenne de justice.

 

Le 07 Juillet 1981, à la suite de l’affaire Charoy, la loi est modifiée et les passagers (quel que soient leurs relations avec le conducteur) sont désormais couverts au titre de la responsabilité civile du conducteur sans avoir à souscrire une option supplémentaire.

 

La responsabilité civile trouvera son impulsion dans l’arrêt Desmares du 21 Juillet 1982. Le contexte est le suivant : de nuit, la voiture de M. Desmares percute un couple de passants qui traversaient la route. La Cour de Cassation estime que ce dernier peut être exonéré de sa responsabilité s’il y a eu survenance d’un événement ayant les caractéristiques de la force majeure (provenant d’un cas fortuit, de la faute de la victime ou du fait d’un tiers).

 

Le droit à indemnisation des victimes est désormais acté et sera renforcé par la Loi Badinter du 05 Juillet 1985 (entrée en vigueur au 1er Janvier 1986). Cette loi a pour but d’établir les règles de responsabilité civile en cas de sinistres automobiles et de simplifier les contentieux en termes de coûts, durées et transactions. Quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour son application :

  • Un véhicule terrestre à moteur
  • Un accident de la circulation
  • L’implication du véhicule terrestre à moteur à l’accident
  • Le conducteur ou gardien : l’imputabilité du dommage à l’accident.

 

 

Les règles d’indemnisation de la loi s’appliquent :


  • Aux victimes : les victimes sont les non-conducteurs (ex : piéton) sauf fautes inexcusables étant à l’origine exclusive de l’accident et les autres conducteurs sauf en cas de fautes simples. La victime ne peut se voir opposer la faute d’un tiers ou un cas de force majeur.
  • En cas d’implication d’un véhicule terrestre à moteur : on parle ici d’un véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol. Il doit être actionné par une force mécanique (exclusion des vélos) et ne doit pas circuler sur ses propres voies (exclusion des trains ou tramway). Le terme « implication » retient les situations dans lesquelles le véhicule a eu un contact matériel (qu’il ait été en mouvement ou immobile) et celles où le véhicule, nonobstant tout contact, a eu un rôle perturbateur (ex : incendies ou explosions causés par le véhicule).

Le débiteur de l’obligation sera le conducteur ou le gardien et son contrat de responsabilité civile sera mis en jeu. En cas de débiteur insolvable ou non couvert, les fonds de garantie prendront le relais.

Plus récemment, avec l’essor et l’évolution des niveaux d’autonomie des véhicules, la réglementation a été adaptée pour permettre la circulation de ces véhicules.

Le 23 mars 2016, la Commission Économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) -à l’origine de la Convention de Vienne de 1968, a amendé le texte pour permettre le développement de ces nouveaux véhicules : la circulation des véhicules à délégation totale ou partielle de conduite est désormais autorisée.

L’ordonnance du 03 Août 2016 fera suite afin de permettre l’expérimentation des “véhicules à délégation de conduite”.

Ces dernières sont strictement encadrées. Après obtention d’une autorisation express et préalable des ministères des transports et de l’intérieur, la circulation des véhicules à délégation totale ou partielle de conduite (VDPTC) était permise dans les cas où :

  • Le conducteur est en mesure de contrôler ou désactiver les systèmes d’autonomie,
  • Les véhicules sont conformes aux règlements des Nations-Unis sur les véhicules.

 

Plus récemment, le décret n°2018-211 du 28 Mars 2018 relatif à l’expérimentation des véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques précise les conditions de mise en œuvre de la circulation à des fins expérimentales. Auparavant assez vague et susceptibles d'être mal interprétées, ces dernières sont désormais :

  • L’ouverture des expérimentations à l’ensemble du territoire et non seulement des zones dédiées
  • Une autorisation spécifique à portée plus large avec attribution de certificats d’immatriculation spécifiques : “WW VDCP”.
  • La fin de l’obligation pour l’opérateur / superviseur d’être derrière le volant. Il aura cependant l’obligation de suivre le test à distance et devra pouvoir reprendre les commandes à chaque instant si le véhicule n’adopte pas le comportement défini dans le cadre de l’expérimentation.
  • La responsabilité du titulaire de l’autorisation en cas d’accident et défaillance. D’autre part, en cas d’incident, les informations des dispositifs d’enregistrement indiquant les phases de délégation ou conduire devront être transmises aux autorités (au regard de la réglementation liée à la protection des données personnelles, seules les cinq dernières minutes devront être transmises).
  • L’expérimentation donnera lieu à un suivi et un bilan qui devront être transmis aux ministères des transports et de l’intérieur.

 

Les véhicules à délégation partielle ou totale de conduite gagnent en autonomie et les acteurs poussent aux tests et à la commercialisation de ces véhicules. L’article 125 de la Loi Pacte permet l’expérimentation des véhicules jusqu’au niveau d’autonomie le plus élevé en précisant le régime de responsabilité.

Dans son premier article, cette loi autorise la circulation sur la voie publique de véhicules à délégation partielle ou totale de conduite à des fins expérimentales. Cette circulation est subordonnée à la délivrance d’une autorisation destinée à assurer la sécurité du déroulement de l’expérimentation : “La délivrance de l’autorisation est subordonnée à la condition que le système de délégation de conduite puisse être à tout moment neutralisé ou désactivé par le conducteur. En l’absence de conducteur à bord, le demandeur fournit les éléments de nature à attester qu’un conducteur situé à l’extérieur du véhicule, chargé de superviser ce véhicule et son environnement de conduite pendant l’expérimentation, sera prêt à tout moment à prendre le contrôle du véhicule, afin d’effectuer les manœuvres nécessaires à la mise en sécurité du véhicule, de ses occupants et des usagers de la route.”

 

La 24 Décembre 2019, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) est promulguée :

  • Article 31 : le gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de 24 mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi afin d’adapter la législation, notamment le code de la route , au cas de la circulation sur la voie publique de véhicules terrestres à moteur dont les fonctions de conduite sont, dans des conditions, notamment de temps, de lieu et de circulation, prédéfinies, déléguées partiellement ou totalement à un système de conduite automatisé, notamment en définissant le régime de responsabilité applicable.
  • Article 32 : le gouvernement peut demander les données aux gestionnaires d’infrastructure routières, de permettre aux assureurs et police d’avoir accès aux données d’état de délégation de conduite.

 

Plus récemment, le décret du 2 Décembre 2020 assouplit les conditions d’expérimentation du véhicule autonome. L’autorisation détermine les trajets (et plus seulement le trajet) sur lesquels se déroule l’expérimentation des véhicules. Elle doit, en outre, préciser le délai de reprise de contrôle du véhicule. Le conducteur a accès à sa demande aux données enregistrées par les véhicules, qui doivent être automatiquement effacées dans un délai de 4 mois.

 

L’année 2021 sera sous le signe de l’essor des véhicules autonomes avec, d’une part, le transfert de la responsabilité des véhicules autonomes et, d'autre part, le rapport Pichereau.

Concernant la responsabilité civile, le décret publié le 1er Juillet 2021 autorise les véhicules autonomes, qu’on nommera désormais en France “véhicules à conduite automatisée”, à circuler sur des routes françaises prédéfinies. Dès Septembre 2022, les véhicules pourront ainsi, légalement, être homologués et autorisés à rouler en autonomie (niveau 3) sur les portions prévues. Dans le cas où les conditions sont réunies, et en cas de sinistre, la responsabilité pénale engagée n’est plus celle du conducteur mais celle du constructeur.

Enfin, et tout dernièrement, le rapport du député Damien Pichereau (05 Octobre 2021) émet des recommandations et des axes de développement pour les véhicules à conduite automatisée en France et en Europe. Par exemple, la Convention de Vienne vue précédemment n’autorise pas la circulation des navettes publiques ou robots-taxis sans chauffeur.

 

Ces derniers mois, la réglementation française a beaucoup évolué en faveur des tests et de la démocratisation des véhicules à conduite automatisée.

Néanmoins, les derniers changements en matière de responsabilité en cas de sinistre pourraient conduire les constructeurs automobiles à rallonger les phases d’expérimentations afin de fiabiliser les véhicules qui circuleront. Pensez-vous que les récentes évolutions de la réglementation vont accélérer ou, au contraire, freiner le développement des véhicules à conduite automatisée ?


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SOURCES

  • Code de la route
  • Code des assurances
  • Ministère des transports et de l’écologie
  • L’argus.fr
  • L’assurance en mouvement